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Où en étions-nous?
25 novembre 2013

1984 en 2013

En guise d'ouverture, quelques considérations forcément incomplètes et confuses, à corriger, reprendre, persévérer sur deux thèmes centraux de ce blog: 1) rapports individus-société 2) se détacher de l'actuel pour tenter de replacer la société présente dans des tendances historiques profondes.

 

Que reste-t-il aujourd'hui du fantasme bureaucratique du siècle précédent, tambouriné sous le signe du 1984 d'Orwell? Où en sommes-nous de cet Etat tentaculaire prophétisé, dénoncé par libéraux, libertaires et autres annonciateurs du "capitalisme d'Etat"?

Le contrôle de l'Etat sur le monde peut se décrire en trois temps: a) protéger la société de toute atteinte individuelle, b)protéger la société de toute atteinte sociale, c)contrôler la vie des individus. Ce dernier point est précisément ce que dénonce le syndrome 1984.

a) Par le développement des techniques policières comme des processus de contrôle et d'information, l'Etat a indéniablement progressé dans la protection de la société actuelle contre toute atteinte individuelle (légitime ou non). Tout acte individuel jugé illégal, dangereux, etc.. se trouve désormais relativement vite situé et circonscrit. Ce n'est pas ainsi que l'incendie gagnera l'ensemble.

b) A l'inverse, l'Etat doit se résoudre à constater son incapacité grandissante à contrôler les événements sociaux de grande ampleur. A observer de loin les relations sociales internationales et locales, on a quelque difficulté à qualifier encore le capitalisme de "système", tant son caractère chaotique ne cesse de s'accentuer. Guerres, famines, crises financières, émeutes: le désordre ne s'est jamais si bien porté.

C'est même, insidieusement, cette impuissance des Etats, et donc des hommes censés le diriger, qui nourrit la désaffection des populations pour la politique. Cela ne tient pas tant à l'accumulation, guère nouvelle, de mensonges, corruptions et autres facéties politiciennes, mais au sentiment confus que tout nous échappe.

Si on ne peut contrôler le chaos, on peut au moins le limiter. Les forces conservatrices, dont l'Etat est par définition l'incarnation, ne manquent pas de moyens d'étouffer toute contestation, par la propagande, la division, ou même simplement par la diffusion de ce sentiment confus cité plus haut, que tout acte social et politique est vain.

Ainsi, sans cesse, la société échappe à tout contrôle, mais reste contenue. Contenir, ce n'est pas contrôler. Les vagues sociales ne cesse de s'écraser sur le mur des falaises politiques, apparement insensibles, jusqu'à l'effondrement brutal. Ou pas.

Contenir, c'est refouler. Le désordre est maintenu à l'intérieur des limites, mais y croît. Tant qu'il reste sous un certain seuil, les désordres locaux n'affecte en rien "l'ordre" général. Mais la croissance global du désordre rend le franchissement local de ce seuil toujours plus accessible, et par rétroaction, son franchissement général.

c) Le contrôle de l'individu par l'Etat? Oui, l'espionnage informatique, la diffusion des données individuelles, je sais. Cela permet de contrôler l'impact social de l'individu, non son destin, ni sa pensée. Le terme de "pensée unique" gadget polémique usé jusqu'à la corde, et né du syndrome 1984 est l'antithèse absolue de la pensée moderne. On y pense peu, certes, mais on pense dans tous les sens. Les seules orthodoxies sont celles que s'inventent ceux qui voudraient se parer à peu de frais du manteau de la révolte. Les pensées uniques, les pensées dominantes: avatar contemporains des moulins de Don Quichotte. Qui cherche vraiment à s'opposer, s'aperçoit bien vite qu'il manque d'adversaire. Et ce qui vaut pour la pensée vaut pour les comportements. La normalité s'essouffle, quellle qu'elle soit.

N'étant pas vraiment contrôlé, l'individu est-il libre? Non, il est occupé. L'exigence productive, qui usent les capacités physiques, psychologiques et nerveuses des êtres n'est pas seule en cause. La porte du travail refermé, l'individu continue à se fuir. Les loisirs excluent le loisir, les libertés banissent la liberté. On agit? Non, on s'agite. A prétendre jouir sans cesse de sa liberté, l'être moderne a perdu le peu de conscience qu'il en avait.

Que conclure, provisoirement, de cette très brève et très discutable esquisse? Que le monde contemporain est peut-être en train de franchir une nouvelle étape dans une tendance historique de fond, sans doute consubstantielle à toute l'histoire des sociétés humaines, mais en tout cas perceptible dès la révolution néolithique, ou dès l'apparition de l'Etat: la croissance de l'autonomie réciproque de l'individu et de la société. Chacun perd le contrôle de l'autre. L'individu non seulement n'a plus prise directe sur les mouvements historiques -cela fait longtemps qu'il en est ainsi-, mais il n'est plus à même, par suite du contrôle croissant, non de ses actes, paroles et pensées, mais de leurs implications sociales, d'être le vecteur, l'incarnation, la voix, la conscience, de ces mouvements. Ceux-ci s'embrasent, se délitent, se noient, se rétractent, se lancent, sans voix, chair ni conscience.

Cette impression actuelle d'être dans des temps de confusion, d'incertitude, d'impuissance, impression qui nourrit peurs, replis et indifférence, trouve une part dans ce divorce croissant entre individu et société. Mais pas seulement.

L'essentiel des causes de la confusion présente reste décrite plus "classiquement" (d'un point de vue marxiste) par l'incapacité qu'ont les deux forces motrices des sociétés, travailleurs et possédants, d'imposer actuellement leur loi à l'autre. Chaque fois que l'un des camps bouge, l''esquisse d'un réaction de l'adversaire le fait rentrer dans sa coquille. Néanmoins, cette impuissance réciproque des deux classes en présence est précisément renforcée par cette exclusion de la conscience, de la parole individuelle dans le champ social. La conscience sociale est produit par l'interaction entre conscience individuelle et contraintes, réalités sociales. A court terme, les forces conservatrices ont tout à gagner de la faiblesse de cette interaction. Mais les mouvements sociaux ainsi coupés de leur propre conscience, tendent à sortir de la sphère de contrôle. Comment épier ce qui n'a plus de visage, comment écouter ce qui n'a plus de voix?

 

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